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Théologienne sans diplôme

barbaigNous sommes au pays Barbaig en Tanzanie, Afrique de l’est. Les Barbaig – cousins des Maasai mieux connus ici – sont des gardiens de troupeaux nomades et de vaillants guerriers. Élégants dans leur démarche et nobles de caractère, ils sont fiers et très attachés à leurs coutumes ancestrales. La scène est celle de l’assemblée du Grand Conseil des femmes du secteur de Mwanga (lumière) où j’habite. Elles sont réunies pour le jugement qu’elles doivent porter sur un homme qui a manqué à l’un de ses devoirs envers sa femme qui vient de donner naissance à un 2è fils – un apport bien important pour la tribu où chaque membre a une fonction spécifique.

Depuis près d’un an je fais ce que l’on nomme de ‘l’évangélisation première’ ou ‘évangélisation de base’, c’est-à-dire une approche initiale en vue – éventuellement – de présenter le message évangélique à une tribu dont la plupart des membres n’a jamais entendu parler de Jésus et de l’évangile. Pour ce faire, je m’efforce discrètement de gagner la confiance des individus et des groupes, petit pas par petit pas, car il faut y mettre beaucoup de respect et de patience.

J’étais consciente que pouvoir assister à la rencontre mentionnée me serait une aide précieuse pour mieux connaître ce peuple. Je demande donc à ma voisine, Mama Mabe, si je peux l’accompagner. Silence… suivi d’une explication entrecoupée d’encore plus de silence, me faisant comprendre que je devrais d’abord y être admise pas ‘la Grande Mère des femmes Barbaig’. Sans hésitation, j’ai affirmé que j’étais prête à présenter ma requête, mais en fait c’est ma voisine qui devrait plaider ma cause. En chemin, elle m’a fait comprendre que, pour être acceptée du groupe, il faut être mariée et avoir mis au monde au moins un enfant. Il était bien évident que je ne n’avais pas les qualifications requises!

Arrivées sur les lieux, elle m’a fait signe de me tenir à distance pendant qu’elle irait parler à cette Grande Mère. La conversation se poursuivait et, plus les minutes s’écoulaient, plus mon doute grandissait que je puisse me joindre au groupe. Ma voisine m’a finalement fait signe de m’approcher et de m’asseoir (par terre, il va sans dire) parmi les femmes rassemblées. Vous devinez sûrement que tous les yeux étaient sur moi. Par l’entremise de ma voisine, la vieille dame (car elle avait vu bien des saisons de pluie et des saisons sèches comme on les connaît là-bas), m’a demandé d’expliquer pourquoi je n’étais pas mariée et pourquoi je n’avais pas d’enfant. Comment dire, comment expliquer la vocation de vie consacrée à ces femmes d’une société polygame et qui ne connaissent pas Jésus?

À mon tour, j’ai regardé chacune dans les yeux et me suis adressée à celles que je connaissais individuellement. La vallée où nous nous trouvions était entourée de collines marquées de petits sentiers que l’une et l’autre avaient dû emprunter pour se rendre à la rencontre. J’ai alors dit : « Toi…… tu es venue de cette colline et ce soir tu y retourneras pour rejoindre ton mari et tes 2 enfants par ce petit sentier, n’est-ce pas? » Signe de tête affirmatif. Et j’ai répété des paroles semblables mais adaptées pour 4 ou 5 des femmes. Chaque fois, le signe de tête me montrait que je disais vrai. J’ai alors ajouté : « Tous ces sentiers sont les sentiers de nos villages, de notre terre, mais il y a aussi les sentiers du cœur… »

La traductrice s’est arrêtée. Jusqu’alors elle avait traduit mon message de la langue bantoue que je parlais à la leur, bien différente. Mais voilà qu’elle ne parlait plus. Puis elle a repris; après qu’elle eut terminé, j’ai simplement ajouté : « Pour chacune de nous, Dieu a dessiné dans son cœur un sentier qu’elle doit suivre dans sa vie et c’est cela qui est bon pour elle, c’est cela qui plaît à Dieu. » La traduction est venue, mot après mot, puis le s i l e n ce. Les femmes attendaient, elles regardaient la vieille dame qui a finalement prononcé ces paroles : « Si Dieu trouve qu’il est bien de faire ainsi, qui sommes-nous pour dire que ce n’est pas bien? »

J’ai réalisé avec une clarté éblouissante que l’Esprit parle… la langue Barbaig et que la vieille dame le comprenait bien! De mon côté, je me réjouissais d’avoir ainsi obtenu ma place au sein du groupe de la théologienne sans diplôme!

Source: Image: Femme nomade, nord du Mali – Emilia Tjemström -flickr.com

Athée… peut-être…

Nous sommes dans un petit village du sud de la Tanzanie en Afrique de l’Est. Une école primaire rassemble une centaine d’enfants et une école ménagère prépare les adolescentes à leur vie de futures mamans. Le centre des affaires comprend une vingtaine de petites boutiques administrées pas un groupe d’Indiens du ‘vieux’ continent. Vous pouvez y trouvez un peu de tout – riz, légumes, huile végétale, pétrole et kérosène, étoffe aux couleurs chatoyantes, et de multiples articles pour la nourriture, le travail aux champs, papier, crayons, allumettes, et je ne sais quoi encore. Le coca-cola y a même fait son apparition!

La vie quotidienne se déroule lentement au fil des saisons toujours répétées à une fréquence malheureusement irrégulière : saison des pluies, saison sèche – chacune plus ou moins longue selon les caprices de Dame Nature. Voilà qu’un beau jour, cette scène est soudainement bouleversée par l’arrivée imprévue d’une équipe de géologues russes! Inédit dans ce petit coin perdu d’une région d’agriculteurs. Ce groupe d’étrangers comprend dix scientistes qui sont accompagnés d’un couple d’interprètes, mari et femme, qui les suivent partout car, outre le gérant de l’équipe, nul autre géologue ne comprend l’anglais ou la langue africaine nationale, le Swahili.

La solitude doit leur peser car après quelques semaines, le gérant et les interprètes se rendent à ‘la Mission’ – la résidence des Pères et le couvent des religieuses. Ils viennent faire connaissance. Ceci est également inédit de la part de ceux qui se disent ‘officiellement’ athées. La Russie rencontre l’Allemagne, la France, et le Canada en la personne des missionnaires. La dame-interprète discute ‘recettes’ avec ‘les Sœurs’ et les deux hommes échangent avec le prêtre sur différents sujets. Au fil des mois, les visites se répètent de temps à autre.

athée, peut-être.Puis un soir, à la maison des prêtres, le gérant vient seul rencontrer le Père Curé. Celui-ci dira plus tard que, ce soir-là, leur conversation était différente de celles qu’ils avaient d’ordinaire. Le gérant semblait trouver difficile de parler de différents sujets, et le silence ponctuait les phrases plutôt courtes qu’il parvenait à articuler.

Après environ une demi-heure de communication assez pénible, le gérant a dit : « J’ai reçu un télégramme de Moscou. (Les courriels n’existent pas encore à cette époque et, qui plus est, l’électricité n’est pas présente non plus!) Mon fils étudie à l’université, il est en troisième année. » Une longue pause silencieuse que le curé respecte. « Yuri, mon fils, ne se sentait pas en forme depuis quelques mois. Il est allé voir le médecin……. » Pause plus longue et les paroles semblent ne plus venir.

Lorsqu’il reprend, le père ajoute : « Le docteur dit que le cancer est trop avancé, ils ne peuvent pas l’opérer. Il lui reste peut-être six mois… » La voix est à peine audible, mais le père continue : « J’ai envoyé un télégramme au Chef de l’entreprise à Moscou et il m’a refusé la permission de rentrer au pays. »

Il est évident que le gérant a de la difficulté à maîtriser son émotion. Il ne regarde plus le Curé qui doit porter attention pour entendre chaque mot qui sort de la bouche du père en détresse. Celui-ci se lève soudainement et s’apprête à partir. Arrivé à la porte, sans se retourner, il dit au prêtre : « Quand, toi, tu parleras à ton ‘Boss’ tu veux bien lui parler de mon fils…… »

Le Curé a promis qu’il parlerait de Yuri à son ‘Boss’ comme l’en avait ‘prié’ le Russe… qui n’était peut-être pas athée comme il le professait.

Source: Image: business.financialpost.com in a study by Ellen Langer